Le monde évanoui

Illustration : Flora Delalande
Que l'horizon était pur, que l'air était limpide ! Les cailloux des chemins luisaient d'un éclat immortel. Même les âmes vagabondes étaient comme des reflets sur lesquels les vents passent sans laisser de trace.
Quelques néants plus tard, j'ai voulu en atteindre le bord, la limite, l'origine et la fin. Et je me suis perdue. Effrayée de ce monde aux bords creux, j'ai couru, foulant les millénaires sans avancer d'un pas. Car c'était un chemin immense, de ceux que les regards ne peuvent connaître. Les pierres étaient coupantes comme des horloges brisées. J'étais hors du temps, pourtant mes pieds saignaient. J'ai hurlé ma frayeur, réclamé mon soleil, là-haut, me surveillant, mais le ciel était plat, lisse comme un miroir et mes cris y glissaient comme le temps de jadis. J'ai pleuré comme une folle dans ce monde trop clair car je n'acceptais pas qu'on puisse vivre sans repère. J'ai imploré des rides, des blessures qui se ferment, des cernes qui se creusent et des proches que l'on perd. J'ai supplié le monde de libérer le temps, ramassant les ressorts des réveils détraqués et ânonnant les heures pour leur donner la vie. J'ai écrasé les pierres pour les faire vieillir mais elles restaient campées dans un instant unique. J'ai découvert l'enfer. Là où même le cœur, dans ses élans furieux, ne parvient pas à battre la mesure du temps.
"Le monde évanoui" Un texte-poésie dense et d'une belle maturité.
le 17 Fév 2011