Un autre regard de la même vision
C'est une jeune fille toute de blanc vêtue
Elle est seule
Assise là
Tout en haut d'un muret.
C'est une petite ruelle aux pavés patinés
Où quelques flaques d'eau se transforment en miroir
Elle est là
Assise seule
Sur son muret gelé
Tout son corps est brûlant d'avoir virevolté pendant des heures. Le chant du violon, les notes du piano lui ont soulevé le cœur, la poussant à danser. Ses cheveux libres volant derrière elle. Tout son corps tendu à l'extrême. Arc bandé, elle a été la flèche qui fend l'air d'un trait précis, l'archer qui vole d'une corde à l'autre.
Droite. Cambrée. Des perles de sueur au coin des yeux.
Puis les chaussons balancés autour du cou, l'air vif qui lui brûle la peau, les pavés qui lui entaillent les pieds, sa course effrénée, quelques entrechats... et enfin... la ruelle immobile.
Elle est là
Seule danseuse
Assise sur son muret
Sa poitrine se soulève plus vite que son cœur qui bat la mesure sur ses tempes fiévreuses. Ses poumons cherchent, avides, un peu d'oxygène dans l'air cristallisé. Un peu de vie s'échappe à chaque souffle dessinant un ange de brume. Là-bas, un brouillard épais se dessine...
C'est une cheminée qui juste derrière elle tente de réchauffer l'air glacé de la ville.
Elle est gelée
Assise sur son muret
Tout en haut, drapée de solitude.
Elle aime ces rares moments où le temps se trouve piégé dans un cristal de glace. Elle aime entendre la rumeur lointaine de la ville, sentir l'odeur de bois brûlé et de châtaignes grillées.
Souvenirs d'hivernales veillées.
Regarder simplement. Laisser ses yeux passer d'un mur à l'autre. Effleurer du regard la peinture salie par les doigts rêveurs d'un peintre imaginaire... ou par une petite fille aux doigts souillés de terre.
Elle se délecte de ces moments où elle aperçoit la peinture écaillée au travers de son souffle comme une fenêtre entrouverte sur le passé.
Elle est solitude
Assise, presque gelée
Enveloppée d'un muret.
Perchée comme une plume sur des lettres. Si haute, elle se sent minuscule. Un autre regard de la même vision. En simple spectatrice. Invisible, elle se dérobe aux yeux de tous. Quelques passants traversent la ruelle. Pas pressés. Dos courbé. Regards figés. Ils ne s'imaginent même pas que là-haut, un oiseau blanc observe chacun de leurs pas.
Elle ne bouge plus, plaque ses pieds fatigués d'avoir trop dansé contre le mur. Ses muscles se relâchent, ses bras se délient et tombent doucement sur ses cuisses.
Elle ne bouge plus. Se laisse aller à adoucir la cambrure de son dos, à abandonner le port de cou altier pour laisser sa tête glisser contre son épaule.
Douceur de la poupée de chiffon délicatement posée sur le rebord d'un lit.
Elle ne bouge plus. Ici. Là-haut. Personne ne peut la voir. Elle est évanouie d'un monde de mouvement. Comme une femme de pierre dans une danse effrénée.
Elle est seule
Assise là
Tout en haut d'un muret
C'est une statue d'albâtre au regard figé.
Je te l'ai déjà dit plusieurs fois mais ... Ce poème est vraiment envoutant, entrainant.
le 16 Jul 2009